• QPN 2011

    QPN 2011

     

    Au centre d’une grande pièce sombre, quelques bancs et coussins noirs. Au mur, un écran de cinéma fait face à une étagère où s’empilent quelques projecteurs à diapositive.

     C’est à l’occasion de la quinzaine photographique à Nantes (« A la vie, à la mort »)  que se tient au Lieu Unique une projection du film de Nan Goldin, « The Ballad of Sexual Dependency ». Pendant une quarantaine de minutes, l’œuvre qui l’a fait connaître nous présente une sélection de clichés que l’artiste a soigneusement répartie en séquences. C’est une œuvre unique : quand certains grattent dans leur journal intime leur quotidien, leurs pensées, leurs souvenirs, la photographe Goldin, elle, les photographies. Nan Goldin capte tout, par peur de l’oubli, comme si son polaroid était greffé à son regard et ses clichés était l’écran de sa mémoire. Son obsession pour la peur de ne pas se souvenir trouve ses origines dans le suicide de sa sœur, alors qu’elle n’avait que 11 ans. Depuis, elle dit vouloir « ne plus jamais perdre le souvenir de personne ». Elle  s’initie à la photographie à l’âge de 15 ans. C’est après avoir obtenu sa License d’arts plastiques à l’université de Boston et s’être lié d’amitié avec le photographe et futur drag-queen David Armstrong qu’elle s’immerge peu à peu dans le monde underground de New York. Elle sera aux premières loges pour assister aux ravages du SIDA et de la drogue. Ce n’est que plus tard dans les années 90 qu’elle commencera à exposer les clichés accumulés durant près de 16 ans, et à publier des livres. 

     

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    Le diaporama de l’artiste est diffusé au Lieu Unique dans une mise en scène sans artifices. Seule surprise, les 687 diapositives sont réparties en 9 carrousels et autant de projecteurs. Le noir se fait dans la pièce, le film commence. Une série de clichés défilent au gré des cliquetis mécaniques du projecteur sur une musique d’opéra. On y voit des couples de tout âge, visiblement serein et insouciants. Les transitions entre les photographies se font en fondue. Le procédé restera le même pour toute la suite de son œuvre. Chaque série a sa propre musique. Les photos s’égrainent sur des chansons variées en accord avec le thème avant de passer à la série suivante en une fondue sonore. Le ronronnement chaleureux du projecteur et la douceur de la mise en scène contribue à une sensation d’intimité, comme si nous étions en train de regarder des photos de famille.

     

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    C’est le paradoxe de cette œuvre. Les sujets et photographies parfois sulfureux que l’artiste nous présente sans tabous ni jugements s’offrent à nous dans un écrin de douceur. Nan Goldin nous prend par la main et nous introduit dans son quotidien, celui de sa famille de substitution, et nous plonge dans le monde dérangeant de l’underground. Que nous montre-t-elle ? Essentiellement des portraits, des autoportraits. Des lieux aussi : des pièces de vie familières comme une chambre, un salon, ou une pièce délabrée, un bar, une rue, tout ce qui peut contribuer à nous immerger dans son monde. Ces lieux qui témoignent souvent de conditions de vies précaires sont loin de notre confort si propre. Sur beaucoup de photos, la lumière est artificielle et saturée, comme si les marginaux du monde de la nuit ne remontaient jamais à la surface. La manière dont elle prend ses clichés est la même que celle d’un individu lambda. Les instants sont pris sur le vif d’avantage pour la beauté du moment que pour la beauté de la forme. Cette symphonie picturale s’articule autour des thèmes universels (la vie, l’amour la naissance, la mort) mais aussi tabous (le sexe, la violence, la drogue).

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      Comme l’indique le titre, la sexualité est au cœur de son œuvre. Sans jamais porter de jugement, Nan Goldin brouille les codes de l’identité sexuelle. Elle s’immisce dans la plus grande intimité des couples sans pour autant tomber dans le voyeurisme. Son diaporama est un véritable Instantané de la société underground des années 8O (drag-queen, maquillage outrancier, paillettes abimées, impudeur, sexe, drogue…) mais aussi une analyse de l’être humain et de ses comportements. On le comprend dans les gestes, les expressions de ses personnages (la fragilité d’une relation amoureuse dans un couple qui se tourne le dos, l’épuisement d’une vie au jour le jour dans un regard…) ou simplement dans des traces plus visibles (une séquence entièrement consacrée à la drogue, à la violence du monde de la nuit notamment envers les femmes, ou encore à l’insouciance partagée

     

    lors d’une fête …). Ses clichés parfois très crus nous renvoient directement à nos parts les plus oubliées de nous-même et à nos conditions de simples être de chair et de sang : immortalisation d’une naissance, de la cicatrice d’une césarienne, d’un acte sexuel, ou de bleus sur le corps de femmes violentées. C’est ce qui rend les personnes qu’elle photographie si complètes, si réelles. Le plus frappant dans ses portraits, c’est l’humanité qui nous transperce quand on croise le regard d’un des personnages.

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     Nan Goldin rend avant tout hommage à ses compagnons. Le simple fait qu’elle puisse les photographier de si près, parfois même dans les moments du quotidien les plus intimes ( une douche par exemple ) montre à quelle point la confiance et la complicité entre elle et ses proches est puissante. Peut-être que cette relation presque fusionnelle n’est possible que dans un univers aussi décomplexé que l’univers underground. Elle porte un œil tout particulièrement tendre envers les femmes, d’abord coquette, puis en perte d’identité, puis battues, ou encore fortes, joyeuses, tristes, mères, amoureuses…Là aussi, on peut s’identifier à elles. Le monde de la photographe semble si proche et pourtant si loin de nous. On sent que la même morale et les mêmes convictions les unis, tout comme l’amour. L’amour présent même au-delà de la mort, à l’image des dernières photographient du diaporama. Son appareil photo toujours avec elle, elle trouve la force de photographier le corps sans vie de Vittorio, le mari de sa meilleure amie Cookie, lors de ses obsèques. Image triste et émouvante lorsqu’on sait qu’il est une victime de plus du VIH, et que sa veuve décèdera quelques temps après lui. La dernière photo, un dessin de deux squelettes qui s’embrassent passionnément, se grave dans notre rétine au moment où l’écran redevient noir.

     

    On est à la fois ému, troublés et fasciné par cette œuvre qui nous ouvre le portes d’un monde underground très différent de notre univers aseptisé, en apparence parfait. On est aussi fasciné par la réalité crue de sa vie et de celles de ceux qui l’entoure. On peut comparer cet attrait à celui que l’on éprouve parfois face à des émissions de télé réalité, à ceci près que la vie hors norme de Nan Goldin est elle, belle et bien réelle. On tente de vivre une vie différente de la nôtre à travers elle et ceux qui l’entourent. En temps qu’humain, on ne peut que comprendre son désir d’immortaliser les personnes et les instants qui lui sont chers, comme pour tromper les défauts de sa mémoire.

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